La question des impacts écologiques et sociaux du « numérique » n’est pas vraiment nouvelle. Et les guillemets s’imposent tant le mot peine à capturer l’étendue d’une industrie tentaculaire. Câbles, antennes, centres de données sont partout, et par eux transitent la kyrielle de logiciels et de services qui échouent dans les smartphones, occupant les moindres interstices de nos vies. Ce dispositif global s’est imposé comme l’interface de tous les contacts humains, des relations amicales aux loisirs en passant par l’information et les liens avec la puissance publique. Dès lors, il n’y a rien de surprenant à se dire que ce « numérique » bute sur les mêmes limites physiques que d’autres industries et prolonge voire intensifie des problèmes sociaux préexistants.
Ces quinze dernières années ont pourtant mené à des remises en question. Des révélations d’Edward Snowden à la montée des enjeux climatiques dans l’espace public, l’industrie du numérique est scrutée, auscultée, pesée et soupesée. Chaque année désormais, les rapports tombent, avec au moins deux constats aussi accablants que consensuels, que ce rapport vient étayer. Le premier rappelle que si le numérique peut apporter des bénéfices aux enjeux du présent, son apport à la décarbonation est surestimé. S’en suit une conclusion logique : il faut d’une manière ou d’une autre, ralentir, ou à tout le moins faire le tri entre l’utile et le futile. Ces constats sont d’autant plus prégnants qu’après une relative prise de conscience, la machine est relancée en 2022 alors que les intelligences artificielles génératives prennent leur essor, charriant des investissements colossaux dans le matériel et les infrastructures. La ponction sur les matières premières et les minerais, l’utilisation de millions de mètres cubes d’eau pour le refroidissement des machines sont, plus que jamais, des questions d’actualité.
Il est certes facile de trouver des raisons pour éviter de contenir cette croissance : conflits géopolitiques, concurrence exacerbée, emploi, etc. La responsabilité des décideurs est donc immense, mais pas impossible : travailler à un numérique beaucoup plus sobre, mis au service de besoins fondés en raison.
Irénée Régnauld Chercheur et essayiste, co-fondateur de l’association Le Mouton Numérique
Pour un réveil écologique, mars 2024