"L'AFFAIRE BNP", UN EXEMPLE POUR LUTTER CONTRE LES ENERGIES FOSSILES ?

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Interview - Oxfam

Dans cette interview nous interrogeons Oxfam sur "l'Affaire BNP" qui découle de la décision d'assigner en justice BNP Paribas pour le financement de nouveaux projets d'énergie fossile.

Qu’est-ce que “l’Affaire BNP” ?

L’Affaire BNP, c’est une coalition de trois ONG, Oxfam France, les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous, qui attaque en justice BNP Paribas. C’est une affaire historique, car c’est la première fois au monde qu’une banque est poursuivie pour ses activités climaticides. Nous avions déjà mis en demeure BNP Paribas le 26 octobre. La banque avait trois mois pour se conformer à son devoir de vigilance et stopper ses financements aux nouveaux projets d’énergies fossiles. Nous ne pensons pas que la réponse qu’a apporté la banque soit satisfaisante et nous assignons donc la BNP en justice. Elle va maintenant devoir déposer un mémoire pour répondre à notre mise en cause, tandis que nous déposerons un contre-mémoire. Comme souvent pour ce genre d’affaire cela va nous engager dans une longue procédure, qui pourrait durer quatre, cinq ou six ans. La première audience n’aura probablement pas lieu avant au moins un an.

Que réclament exactement Oxfam France, les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous ?

Nous réclamons que la BNP se conforme à la réglementation européenne sur le devoir de vigilance, et donc qu’elle cesse tout financement à des nouveaux projets pétroliers et gaziers. Sous la pression des ONG dont Oxfam, les principales banques françaises se sont déjà engagées à couper complètement les financements aux entreprises et aux projets du secteur du charbon. Elles se sont également engagées sur les hydrocarbures non conventionnels mais moins fortement, en excluant de leurs financements les entreprises dont ces produits représentent plus de 30% de leur activité. Mais ces annonces masquent une réalité persistante et dramatique : le pétrole et le gaz conventionnel représentent la majeure partie des émissions dûes au combustibles fossiles. Nous disons donc qu’il est urgent de renforcer ces arrêts de financement et de les étendre à toutes les énergies fossiles.

Votre action en justice est ambitieuse, sur quelles bases juridiques repose-t-elle ?

Elle se base sur la loi de 2017 sur le devoir de vigilance, qui oblige certaines multinationales françaises à identifier, prendre des mesures propres à limiter et prévenir les risques et les atteintes graves aux droits humains, à la santé et à la sécurité des personnes, et à l’environnement causées par leurs activités et celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants, tant en France qu’à l’étranger. Ces mesures doivent être publiées dans un plan de vigilance, et surtout mises en œuvre de façon effective. Or, le financement des énergies fossiles fait peser un risque majeur sur les droits humains, sur la santé et la sécurité des personnes et bien sûr sur l’environnement. Après l’affaire Total-EACOP qui a commencé en octobre 2019, notre action en justice est la deuxième à se fonder sur le devoir de vigilance des multinationales.

Et quelles sont les justifications scientifiques de cette action ?

Nous nous appuyons sur le consensus scientifique. Le dernier rapport du GIEC dit très clairement que du fait du stock de carbone déjà accumulé dans l’atmosphère, tout nouveau projet de développement d’énergie fossile est incompatible avec les scénarios qui limitent le réchauffement à 1,5°C d’ici la fin du siècle. De même, l’AIE souligne que leur scénario de zéro émissions nettes en 2050, aligné sur l’objectif de l’accord de Paris, exclut tout développement de projets d’extraction de pétrole, gaz et charbon au-delà de ceux prévus en 2021. N’oublions pas que dans la crise climatique que nous connaissons, chaque tonne de carbone en plus dans l’atmosphère est une tonne de trop si l’on veut garder une planète habitable. La transition énergétique est urgente et ne peut se faire si l’on continue à développer les énergies fossiles.

Pourquoi avez-vous choisi de cibler une banque ? Et parmi les banques, pourquoi cibler BNP ?

Les multinationales pétrolières et gazières ne sont pas les seules responsables de l’exploitation des énergies fossiles qui détruit notre environnement. Leurs projets ne seraient pas possibles sans le soutien de banques. Ces banques ont un impact très fort sur le climat à la fois par les prêts qu’elles accordent aux entreprises et par leurs investissements sur les marchés.

Si nous ciblons la BNP, c’est parce qu’entre 2016 et 2021, elle s’est imposée comme le premier financeur européen et cinquième mondial de l’expansion des énergies fossiles en finançant des géants des énergies fossiles comme Total, BP, Eni ou Shell. En raison de ces financements, la BNP a une empreinte carbone qui dépasse celle du territoire français ! C’est la banque avec l’impact le plus fort sur notre climat.

C’est aussi une banque dans laquelle des millions de Français-es placent leur épargne. Il n’est pas acceptable que l’épargne des Français-es finance à leur insu la destruction de notre avenir.

Banques françaises financement fossile

Oxfam est avant tout connue pour s’occuper de questions sociales, notamment la lutte contre la pauvreté. Pourquoi vous impliquez-vous contre le financement des énergies fossiles ?

Injustices climatiques et injustices sociales sont intimement liées. Les plus pauvres sont ceux qui sont le moins responsables du réchauffement climatique, et ils sont les premiers à faire face à ses conséquences. La dégradation du cadre de vie, la destruction des habitats par les catastrophes rendues de plus en plus fréquentes par le dérèglement climatique, l’accès de plus en plus difficile à l’eau et à la nourriture frappent le plus fortement les plus vulnérables. Les plus pauvres doivent pouvoir vivre sur une planète habitable et subvenir à leurs besoins. La BNP fait partie des banques les plus puissantes et les plus destructrices de notre environnement. En la contraignant par la loi à stopper la destruction de notre planète, nous nous attaquons à la racine de ces inégalités sociales et environnementales où les plus pauvres subissent de plein fouet les conséquences environnementales d’investissements dont ils ne sont pas responsables.

Le 24 février dernier, soit deux jours avant le délai de votre mise en demeure, BNP a annoncé dans la presse et à vos avocats qu’elle allait accélérer la transition de ses financements vers les énergies bas-carbone, selon elle déjà bien engagée. Elle promet notamment une réduction d’ici 2030 de 80 % de son financement aux projets d’extraction et de production de pétrole, et de 30 % pour le gaz. Etes-vous satisfaits de ces annonces ?

Ces annonces sont avant tout de la communication. Elles semblent impressionnantes, mais elles sont en trompe-l'œil et sont loin d’être suffisantes. Cet engagement ne couvre pas l’ensemble des activités de la banque qui financent des énergies fossiles, et il ne met pas fin au financement de nouveaux projets pétroliers et gaziers, alors même qu’il s’agit d’une ligne rouge pour les Nations Unies comme pour l’Agence Internationale de l’Energie. D’autre part, il ne concerne que le financement par le prêt et exclut les activités d’émission d’actions et obligations, levier pourtant clé de financement pour l’industrie fossile. Les déclarations de la BNP ne sont qu’une façade, on l’a encore vu au mois de janvier : 13 ONG, dont les Amis de la Terre et Reclaim Finance ont montré que, depuis qu’elle a rejoint la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) en avril 2021, BNP Paribas a été impliquée dans 30 transactions apportant 7,1 milliards de dollars à une dizaine d’entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles

Cette action en justice ne vise pas tout le secteur financier mais seulement un de ses acteurs, son succès ne suffirait pas à stopper le financement de nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles. Que souhaitez-vous obtenir au-delà de l’action contre BNP ?

Nous souhaitons que cette action permette un effet de levier pour transformer tout le secteur financier. Si nous gagnons cette action en justice, cela fera une jurisprudence qui rendra évidente l’impossibilité de financer le développement des énergies fossiles pour tous les acteurs du secteur. Par ailleurs, cette action est aussi une manière de mettre en lumière l’impact des banques sur le climat et de mobiliser un pouvoir citoyen pour interpeller les banques et les pousser à changer leurs pratiques par d’autres moyens. Plus largement, elle s’inscrit dans tout une palette d’actions qui viennent rendre plus dangereux le financement des énergies fossiles en augmentant les risques réputationnels et juridiques. Ces risques sont évalués monétairement par les banques et sont véritablement pris en compte dans leurs décisions de financement. Notre action pourra donc avoir un impact très concret même si elle ne devait pas réussir en justice.

Si l’action contre BNP réussit et fait jurisprudence en France, ne pensez-vous pas que le secteur des énergies fossiles pourra simplement se financer auprès des banques non soumises au droit français ?

C’est ce qu’on nous disait pour le secteur du charbon, alors qu’on avait contribué à l’engagement de la part de l’ensemble des banques françaises de cesser leurs soutiens financiers en 2019-2020. Trois ans plus tard, les politiques sectorielles des banques françaises ont fait tache d’huile dans le monde et il est de plus en plus difficile pour une entreprise active dans le charbon de trouver de nouveaux financements.

Face aux grandes multinationales, il n'est pas facile de voir comment l'on peut contribuer comme étudiant ou jeune diplômé au blocage des nouveaux projets fossiles qui mettent nos vies en péril. Que peut-on faire selon vous ?

L’information est un premier levier d’action. Il est par exemple très utile de regarder l’empreinte carbone de sa banque et de changer ou d’interpeller son conseiller bancaire. Mais nous pensons que l’action individuelle, si elle est nécessaire, doit aller de pair avec l’action collective. Signer et partager la pétition sur le site https://affaire-bnp.fr/ permet d’amplifier la mobilisation. Nous partageons également des actions et webinaires sur nos réseaux sociaux pour comprendre et s’engager.

Pour les jeunes diplômés, nous vous encourageons à évaluer les futurs employeurs en fonction de leur impact sur le climat et les droits humains. Si les employeurs se rendent compte qu’ils ne parviennent pas à recruter à cause de leur impact néfaste, cela peut être une raison de plus de questionner leur raison d'être et changer leurs pratiques.

Toutes les compétences peuvent être mises au service d’un monde plus juste, dans les choix professionnels mais aussi par des engagements associatifs.


Article rédigé sur la base d’échanges avec Oxfam France. Le dossier de presse complet est disponible ici.

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